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Florence Piron

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Une des chercheuses les plus prestigieuses du Québec, Brenda Milner a contribué de façon fondamentale au développement de la recherche sur le cerveau, en particulier sur les mécanismes de la mémoire, dans des travaux qui ont fondé le champ de la neuroscience cognitive.

Enfance européenne

Brenda Milner est née à Manchester, Grande-Bretagne, en 1918, dans une famille d’artistes. Son père s’occupa lui-même de la première éducation de sa fille, lui faisant apprendre des langues et découvrir les mathématiques et la littérature

À huit ans, j’étais plus éduquée que tous les enfants de mon âge. Mais, au grand désespoir de mes parents, je n’avais toutefois aucune aptitude pour la musique! Je bâillais pendant La Flûte enchantée […] Je n’ai pas d’oreille et j’aimais beaucoup trop les mathématiques.

Elle n’alla à l’école qu’à huit ans, après la mort de son père.

À l’école secondaire, j’étais très douée pour les langues. Mon conseiller académique me conseilla d’étudier les humanités à Oxford. Mais comme j’aimais les mathématiques et la physique, j’ai insisté pour étudier les maths, même si tout le monde disait que c’était idiot./ In high school, I was always good at languages and my academic advisor suggested I go into humanities at Oxford. But as I loved mathematics and physics, I insisted on doing math despite everyone telling me I was foolish, and I managed to get a scholarship to study mathematics at Cambridge.

Grâce à une bourse, elle réussit à se faire admettre dans le réputé collège pour femmes de Newnham, à Cambridge en 1936.

Après un an à Cambridge, j’ai compris que je ne serais jamais une grande mathématicienne. J’ai alors pensé à la philosophie, mais on m’a convaincue que je ne pourrais jamais en vivre. On m’a alors parlé de la psychologie expérimentale, qui était une toute nouvelle discipline associée aux sciences morales», raconte Brenda Milner.

Arrivée au Canada

Lorsque la Deuxième guerre mondiale éclata, elle fut recrutée par la Royal Air Force pour travailler dans un laboratoire de recherche sur les radars. Elle y rencontra son futur mari, un ingénieur. Quand ce dernier fut invité à travailler au Canada en 1944, ils partirent pour Montréal où ils finirent par s’installer définitivement.

Au bout de quelques années, elle commença un doctorat en psychophysiologie à l’Université McGill sous la direction du professeur de psychologie Donald Hebb. Ce dernier demanda au Dr Wilder Penfield, grand spécialiste de l’épilepsie, de permettre à Brenda Milner de mener des recherches cliniques avec des patients atteints d’épilepsie.

Il n’y avait pas du tout d’images du cerveau d’un individu vivant. Il y avait des rayons X, on voyait la structure des ventricules et la forme du crâne, mais on ne voyait rien en détail, rappelle-t-elle.

C’est ainsi que Brenda Milner fit son entrée à l’Institut neurologique de Montréal où elle passa ensuite toute sa carrière.

À l’Institut neurologique de Montréal

Elle s’intéressa d’abord aux lobes frontaux et notamment à leur rôle dans le langage et la visualisation des objets dans l’espace. Ses travaux sur la mémoire, notamment sur le patient HM qu’elle a suivi pendant 30 ans, l’amenèrent à distinguer différents types de mémoires, notamment la mémoire épisodique et la mémoire procédurale, et à mettre au jour le rôle crucial de l’hippocampe dans le fonctionnement de la mémoire à court terme.

J’ai eu du mal à publier cette étude, car tout le monde disait que j’exagérais. Mais ça a eu une énorme influence et aujourd’hui, tout le monde parle de la fonction exécutive au lobe frontal […] Aujourd’hui, cela semble évident. Mais cela prendra plusieurs années avant que mes thèses soient reconnues et acceptées.

Elle-même était consciente qu’elle venait d’ouvrir une voie féconde à la recherche sur la mémoire en montrant qu’il existait différents types de mémoire dans le cerveau. Le scepticisme à l’endroit de sa théorie était suscité par sa méthode consistant à travailler avec des personnes au cerveau endommagé plutôt qu’avec des animaux, comme c’était l’habitude. Dès que des résultats sur les animaux eurent confirmé ses théories, le scepticisme disparut et les récompenses commencèrent à pleuvoir.

Brenda Milner, passionnée par sa vie à l’Institut neurologique de Montréal, n’a jamais eu d’enfants.

Je n’ai jamais souffert d’être une femme, même si j’ai été seule pendant une bonne partie de ma carrière. Le Dr Penfield était très exigeant, mais il était comme cela avec les hommes aussi.

Elle a reçu plus d’une vingtaine de prix et, en 2009, était encore active à l’Institut neurologique de Montréal. Titulaire de la chaire Dorothy-J.-Killam, elle était alors toujours professeure au Département de neurologie et de neurochirurgie de l’Université McGill.

Brenda Milner est un géant de notre époque. Sa présentation détaillée du dysfonctionnement de la mémoire à la suite de lésions de l’hippocampe a servi d’assise à la compréhension moderne de la mémoire et des divisions des mécanismes de stockage de la mémoire. Elle a créé le champ de la neuroscience cognitive en fusionnant la psychologie et la neurobiologie (Eric Kandel, professeur au Centre de neurobiologie de l’université Colombia et lauréat du prix Nobel de médecine en 2000).

Avec ses économies et l’argent reçu de ses prix, Brenda Milner a créé une Fondation qui appuie les chercheurs post-doctoraux à l’Institut de neurologie de Montréal.

Ce qui a été mon moteur toute ma vie, c’est la curiosité. Je suis incroyablement curieuse de toutes les petites choses que je vois autour de moi.

Prix

  • 1976 – Membre de la Société royale du Canada
  • 1983 – Prix Izaak-Walton-Killam
  • 1984 – Officier de l’ordre du Canada
  • 1985 – Officier de l’Ordre national du Québec
  • 1985 – Prix Noël-Mailloux (psychologie)
  • 1993 – première lauréate du Prix Wilder-Penfield
  • 1995 – Médaille McLaughlin
  • 1997 – Temple de la renommée médicale canadienne
  • 2002 – Prix Michel-Sarrazin
  • 2004 – Compagnon de l’ordre du Canada
  • 2005 – Prix Gairdner
  • 2005 – Élue membre de l’American Academy of Arts and Sciences
  • 2009 – Grande Officière de l’Ordre national du Québec
  • 2009 – Prix Balzan pour les neurosciences cognitives
  • 2011 – Pearl Meister Greengard Prize, qui honore des chercheuses qui ont fait des contributions extraordinaires aux sciences biomédicales.
  • 2014 – Kavli Prize in Neuroscience

Références

Les citations de Brenda Milner ci-dessus ont été extraites des entrevues ci-dessous.

Isabelle Paré (2004) « La vie extraordinaire d’une vieille dame très digne », Le Devoir
http://www.ledevoir.com/non-classe/44239/la-vie-extraordinaire-d-une-vieille-dame-tres-digne

Lisa-Marie Gervais (2009) « L’entrevue : Le privilège de survivre », Le Devoir
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/263935/l-entrevue-le-privilege-de-survivre

Karen Birchard, (2011) “‘Nosy’ and Observant, a Neuroscientist Continues Her Memorable Career at 93”, Chronicle of higher education
http://chronicle.com/article/NosyObservant-a/129649/

Ordre national du Québec, portrait de Brenda Milner.
http://www.ordre-national.gouv.qc.ca/membres/membre.asp?id=126

Chenjie Xia “Understanding the human brain: A lifetime of dedicated pursuit. Interview with Dr. Brenda Milner” Mcgill J Med. Jul 2006; 9(2): 165–172.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2323518/

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Femmes savantes, femmes de science Copyright © 2014 by Florence Piron is licensed under a Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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